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Le pari de Poutine sera-t-il payant ?

Feb 17, 2024

David Patrikarakos est le correspondant étranger d'UnHerd. Son dernier livre s'intitule La guerre en 140 caractères : comment les médias sociaux remodèlent les conflits au 21e siècle. (Hachette)

24 septembre 2022

« Que cet enfoiré envoie autant d’esclaves qu’il veut. Cela ne fera aucune différence. Nous les renverrons en Russie dans des cartons, comme nous l’avons déjà fait pour ceux qu’il a déjà envoyés.

"Ivan" fait une pause. Il est impliqué dans des activités de résistance civile dans le sud de l’Ukraine et il a exprimé des opinions pointues sur les occupants, fondées sur son expérience directe. « Eh bien, en fait, les Russes laissent généralement leurs morts sur le terrain. En fait, ils ne retournent pas en Russie. Nous fertilisons notre sol avec eux.

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Dans la matinée du 21 septembre, le président Vladimir Poutine s'est rendu à la télévision d'État russe pour affronter sa nation et, par procuration, le monde. Il a déclaré à son peuple qu’il y aurait une mobilisation massive mais limitée pour la guerre en Ukraine. Il ferait appel à « des réservistes militaires, principalement ceux qui ont servi dans les forces armées et qui possèdent des spécialités professionnelles militaires spécifiques et une expérience correspondante ». Il s'agirait de la première mobilisation russe depuis la Seconde Guerre mondiale, annoncée à l'occasion de la Journée internationale de la paix. Malgré tous ses défauts, Poutine a le sens de l’humour.

Le discours comprenait le mélange habituel de mensonges, d’apitoiement sur soi et d’illusion de Poutine : une combinaison toxique chez les autocrates qui mène invariablement à la violence (il suffit de demander au peuple iranien). Il a commencé par évoquer la nécessité de protéger « la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale de la Russie ». Il entendait par là les zones à l’intérieur de l’Ukraine que la Russie a volées et qu’elle occupe désormais.

Ses déclarations font suite à la récente contre-offensive de Kiev qui a chassé les troupes russes d’une grande partie du nord-est de l’Ukraine. Bien entendu, la Russie n’aurait jamais pu perdre face aux Ukrainiens. C’est, comme l’a expliqué Poutine, l’Occident qui est à l’origine des récentes défaites de la Russie – même s’il ne les qualifie pas de défaites – parce qu’il « veut détruire notre pays ». C'est pour cette raison que l'Occident tente de « transformer le peuple ukrainien en chair à canon ».

Selon Poutine — et il est important de le comprendre — l'Occident a déclenché cette agression « en 2014 ». Ce qui s’est réellement passé, c’est que les soldats russes sont entrés en Crimée sans provocation, l’ont volée, puis ont envahi l’est de l’Ukraine. Ce sont des représailles contre la révolution ukrainienne Euromaidan de 2013, qui ont renversé le larbin du Kremlin, Viktor Ianoukovitch : Poutine ne pouvait pas permettre qu’une révolution démocratique à côté se déroule sans issue. Qui savait quelles pensées cela pourrait faire naître dans la tête de ses propres citoyens opprimés ?

Poutine qualifie le gouvernement ukrainien post-Euromaïdan de « résultat d'un coup d'État ». Il est, semble-t-il, un partisan de la démocratie. Entre le 23 et le 27 septembre, des « référendums » auront lieu dans les territoires occupés d’Ukraine sur l’annexion formelle à la Russie. Le monde entier les a, inévitablement et à juste titre, dénoncés comme étant une imposture.

Poutine présente désormais son invasion non provoquée et militairement insensée de l’Ukraine comme un conflit existentiel pour les Russes : « Le but de cette partie de l’Occident est d’affaiblir, de diviser et finalement de détruire notre pays. Aujourd’hui, ils affirment ouvertement qu’ils ont réussi à diviser l’Union soviétique en 1991 et qu’il est désormais temps de faire de même avec la Russie, qui doit être divisée en de nombreuses régions qui s’affronteraient entre elles dans des querelles meurtrières.»

Par David Patrikarakos

Avec sa paranoïa à l’égard des intentions occidentales, sa nostalgie d’une URSS soi-disant paisible et sa conviction que la Russie doit se battre (et donc conquérir plus de terres) pour survivre, cette déclaration résume assez bien l’intégralité de la politique étrangère de Poutine au cours des 15 dernières années. La réaction internationale a été comme prévu. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été typiquement éloquent : « Poutine veut noyer l’Ukraine dans le sang, y compris dans le sang de ses propres hommes. » Le secrétaire britannique à la Défense, Ben Wallace, y a vu un « aveu que son invasion échoue » et que la Russie est en train de devenir rapidement un « paria mondial ».